Le franc CFA est l’une des instances de la perpétuation du lien (post)colonial entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique.Cette monnaie a ceci de particulier qu’elle a été créée[2]Le franc CFA, à l’origine «franc des colonies françaises... sans convergence économique préalable entre les différents territoires coloniaux, puis entre les nations indépendantes qui l’ont en partage et que son fonctionnement défie les règles de transparence en vigueur dans les instances monétaires et financières internationales. L’absence de contrôle des populations qui l’utilisent, ainsi que la rigidité de son ancrage vis-à-vis de l’Euro posent la question de son rôle dans la persistance de l’extraversion des économies africaines et la faible croissance structurelle dont souffrent ces dernières.
Le franc de la communauté financière africaine (CFA) est un exemple frappant du lien (post)colonial qui se perpétue entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique de l’ouest et du centre[1]. Cette monnaie a ceci de particulier qu’elle a été créée[2]Le franc CFA, à l’origine «franc des colonies françaises... sans convergence économique préalable entre les différents territoires coloniaux, puis entre les nations indépendantes qui l’ont en partage et que son fonctionnement défie les règles de transparence en vigueur dans les instances monétaires et financières internationales. L’absence de contrôle des populations qui l’utilisent, ainsi que la rigidité de son ancrage vis-à-vis de l’Euro posent la question de son rôle dans la persistance de l’extraversion des économies africaines et la faible croissance structurelle dont souffrent ces dernières.
Dès l’origine, le franc CFA a fait l’objet de critiques. Les auteurs «dépendantistes[3]Les auteurs dits «dépendantistes», à l’instar de...» le percevaient comme l’illustration de la perpétuation du régime colonial. Ensuite, assez paradoxalement, ces critiques ont été reprises par des économistes d’obédience libérale.[4]Outre certains économistes de la Banque mondiale (S...., réclamant une «seconde indépendance», plaidant la cause d’un franc CFA flottant qui assumerait ainsi la dimension «prix» des monnaies, et fluctuerait au rythme des modifications de son offre et de sa demande; certains ont même appelé à un éclatement de la zone franc, prélude à une concurrence généralisée entre des monnaies nationales à créer. Ces travaux ignorent une forme plus subtile d’aliénation monétaire, la servitude volontaire de banquiers centraux africains adeptes de la «désinflation compétitive».[5]La doctrine de la «désinflation compétitive», théorisée.... Tel est l’argument de cet article qui, en examinant la politique générale et les pratiques quotidiennes des fonctionnaires de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), entend penser autrement les pesanteurs de la dépendance et du lien postcolonial qui continue de structurer les relations franco-africaines[6]Pour une approche congruente en termes d’économie politique....
Le cas de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA)[7]L’UEMOA est composé de huit pays: Bénin, Burkina,..., regroupement de huit États ayant notamment en commun l’usage du franc CFA, est éclairant: en effet, jamais une union économique et monétaire n’a suivi aussi rigoureusement les politiques dites de désinflation compétitive d’inspiration monétariste.[8]Une politique de «désinflation compétitive» a généralement.... La BCEAO qui gère la politique monétaire de l’UEMOA a pour objectif la stabilité des prix, dans le souci de préserver la valeur interne et externe de la monnaie. Depuis 1989, la politique monétaire se fonde sur un recours accru aux mécanismes de marché, consacrant l’option d’une régulation indirecte de la liquidité bancaire, en rupture avec le système d’encadrement administratif du crédit qui prévalait jusque-là. Un rôle primordial est ainsi accordé au taux d’intérêt qui devient l’instrument privilégié de la politique monétaire. On verra ici que la forte extraversion qui caractérise la structure et le fonctionnement de la zone UEMOA est à l’origine de la faible efficacité et de certains des paradoxes de la politique monétaire de la BCEAO. Des pistes d’une redéfinition souhaitable du contenu de son ancrage institutionnel et de ses objectifs sont suggérées.
La gestion extravertie de la politique économique et monétaire
Dans l’histoire des relations monétaires entre la France et l’Afrique[9]BCEAO, Histoire de l’UMOA, 3 tomes, Paris, G. Israël,..., la rationalité politique a souvent dominé la rationalité économique stricto sensu: jusqu’à la création de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) en 1962, la congruence était parfaite entre l’impératif d’exporter des matières premières à bas prix des colonies vers la métropole et l’édification progressive du monopole du franc CFA (franc des colonies françaises d’Afrique) sur les monnaies endogènes africaines[10]B. S. Diallo, «Des cauris au franc CFA», in Gemdev.... En revanche, dès la création de l’UMOA, il s’est agi de ne pas couper le cordon ombilical entre la France et ses colonies nouvellement indépendantes. Sensibles à ce fait, les dirigeants africains les plus radicaux décidèrent de ne pas entrer dans l’Union (comme le Guinéen Sékou Touré et le Togolais Sylvanus Olympio) ou d’en sortir rapidement (comme le Malien Modibo Keita, qui quitta l’UMOA dès juillet 1962).
L’absence de définition de critères de convergence économique et de réflexion sur le caractère optimal de cette zone monétaire – qui, rappelons-le, a précédé l’union économique et monétaire – confirme le caractère politique de l’UMOA/UEMOA[11]L’UMOA a été créée en mai 1962, et l’UEMOA en janvier.... Par la suite, lorsque les années 1980 ont vu les pays de l’UEMOA se soumettre à l’ajustement structurel, une collusion au moins tacite s’est établie entre la France, soucieuse d’afficher son indépendance vis-à-vis des institutions de Bretton Woods, et les États de la zone Franc pour rejeter toute idée de dévaluation du franc CFA et opter pour «l’ajustement réel». Les pays de l’UEMOA, du fait de fondamentaux économiques désastreux, ont été obligés de gérer tant bien que mal des réformes douloureuses, sans pouvoir profiter du degré de liberté qu’offre une flexibilité monétaire et ils ont dû affronter une concurrence difficile avec les pays anglophones et lusophones d’Afrique de l’Ouest auxquels les lient des échanges économiques enracinés dans l’histoire.
L’«ajustement monétaire», la dévaluation du franc CFA de janvier 1994, a été en apparence le premier acte du renoncement français, obligé de se plier au diktat des institutions de Bretton Woods et de leurs partenaires occidentaux – renoncement théorisé dans la «doctrine d’Abidjan»[12]La «doctrine d’Abidjan», encore appelée «doctrine.... En réalité, la France a préservé ses intérêts, qui coïncident désormais avec un néolibéralisme plus ou moins assumé depuis le tournant économique de 1983-1984 et la politique du franc fort, renforcée par l’indépendance de la Banque de France en 1992 et le traité de Maastricht, précurseur de la Banque centrale européenne et de l’Euro, tout cela dans un contexte de réorientation tendancielle de l’aide publique au développement vers les Pays d’Europe centrale et orientale (Peco).
De même, les autorités monétaires ouest-africaines et les chefs d’État de la zone UEMOA ont tiré ainsi avantage du double «bouclier» du Fonds monétaire international (FMI) et du Trésor français, en préférant prendre la posture de rentiers «bons élèves de l’orthodoxie monétaire» – nec plus ultra de l’extraversion des élites africaines – plutôt que d’assumer le risque d’une indépendance d’esprit et la responsabilité qui va avec en optant pour une réflexion endogène sur les voies d’une gestion monétaire saine. On en veut pour preuve le décalage entre l’effet d’annonce de la création d’une monnaie unique pour l’Afrique de l’Ouest (francophone, lusophone, anglophone) à l’horizon 2005 sous l’égide de la CEDEAO.[13]Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest,... et le total immobilisme des pouvoirs publics ouest-africains sur ce dossier depuis dix ans.
De même, nonobstant les spécificités des économies de l’UEMOA, leur faible degré de monétarisation, leur soumission à des chocs d’origine non monétaire (inflation «importée» de France, aléas climatiques, chocs pétroliers), les autorités monétaires actuelles de l’UEMOA tentent de conduire une politique de lutte contre l’inflation avec des outils adaptés à une inflation d’origine monétaire, qui est celle que connaissent les pays développés à économie de marché. De plus, dans un contexte de surliquidité bancaire et d’extraversion des banques primaires (ou commerciales), le processus de libéralisation croissante du secteur bancaire de l’UEMOA contribue à affaiblir l’efficacité de la politique monétaire. Enfin, l’ancrage rigide du CFA à l’Euro a un coût manifeste en termes de croissance dont on ne saurait faire l’économie.
Le dispositif de gestion monétaire de l’UEMOA
L’objectif principal de la politique monétaire conduite par la BCEAO est la préservation de la valeur interne et externe de la monnaie. Cette politique a connu de nombreuses transformations – en 1975, 1989 et 1993 –, de sorte que le nouveau dispositif de gestion monétaire de l’UEMOA se fonde sur un recours accru aux mécanismes de marché, privilégiant ainsi les méthodes de régulation indirecte de la liquidité. En effet, avant 1989 et 1993, le refinancement des systèmes bancaires de la zone UMOA reposait exclusivement sur la Banque centrale. La BCEAO centralisait toutes les offres et les demandes de capitaux et, pour obtenir des liquidités, les banques commerciales lui cédaient des effets commerciaux. Ce système s’est assoupli notamment avec la création du marché interbancaire sur lequel les banques commerciales s’échangent leur flux de trésorerie à des conditions fixées par elles.
La politique monétaire de la BCEAO repose à l’heure actuelle sur l’utilisation de taux d’intérêt directeurs qui lui sont propres.[14]De facto, ces taux ont tendance à suivre l’évolution..., un marché monétaire rénové et la libéralisation des conditions de banque. En appui à ces instruments, un système de réserves obligatoires permet de modifier le comportement du système bancaire et d’agir sur le coût du crédit. La coopération monétaire avec la France assure l’existence du mécanisme dit du «compte d’opérations».[15]Pour cerner les tenants et aboutissants du fonctionnement..., qui contribue à garantir une parité fixe entre le franc CFA et l’Euro. Dans ce cadre, la recherche de la stabilité des prix est présentée comme un objectif susceptible d’assurer la soutenabilité à long terme du taux de change et la compétitivité des économies de l’UEMOA.
Il convient d’insister sur la dépendance particulièrement forte de la zone UEMOA à l’égard de la zone Euro: en effet, lorsque les taux d’intérêt de la zone Euro augmentent, les capitaux fuient la zone UEMOA pour se placer dans la zone Euro, qui rémunère mieux les dépôts. Pour éviter ce phénomène, la BCEAO est obligée d’augmenter ses propres taux directeurs. De ce fait, la contrainte externe prévaut donc sur la contrainte interne, et la BCEAO est ainsi inefficace face à la situation économique propre à la zone UEMOA.[16]Voir K. Nubukpo, «L’impact de la variation des taux....
L’absence d’objectif de croissance dans les missions de la BCEAO
La BCEAO a opté pour une cible d’inflation de 2% comme principal objectif de la politique monétaire de l’UEMOA.[17]La BCEAO se veut ainsi plus vertueuse que l’UEMOA,.... Un tel choix découle de l’arrimage du franc CFA à l’Euro, car c’est ce chiffre qui est retenu par la Banque centrale européenne (BCE). Or, dans un régime de taux de change fixe avec une libre circulation des capitaux, il est impossible pour la BCEAO d’avoir une politique monétaire durablement différente de la zone ancre, c’est-à-dire la zone Euro[18]R. A. Mundell explique que dans un régime de taux de.... Ce rattachement institutionnel, hérité des accords de coopération entre la France et l’UMOA/UEMOA, contraint donc la BCEAO dans sa capacité de choix de son objectif de politique monétaire. En effet, dans un régime de changes fixes, l’inflation contribue, du fait de la perte de compétitivité qu’elle engendre, à la détérioration progressive des comptes extérieurs et à la surévaluation du taux de change, fragilisant ainsi la parité entre les monnaies.
De fait, la cible d’inflation de 2% retenue par la BCEAO semble impérative au regard des contraintes qu’induit l’existence d’un taux de change fixe entre les deux zones. Il peut ne pas être problématique si l’on retient le principe suivant lequel «ce qui est bon pour la zone Euro est bon pour la zone CFA». Rien n’est moins sûr cependant, quand on sait que la cible d’inflation de la zone Euro est elle-même critiquée par les économistes d’obédience keynésienne[19]Voir Conseil d’analyse économique P. Aghion, E. Cohen..., mais surtout, quand on prend en compte les particularités de la zone UEMOA: les défis qui se posent aux pays en développement sont complexes et la contribution de la monnaie à la croissance économique devrait susciter une large réflexion. L’adoption d’une cible d’inflation de 2% peut en effet sembler exagérément restrictive pour des économies qui ont besoin de 7% de croissance annuelle du PIB pour atteindre les Objectifs du millénaire (ODM), notamment celui de réduction de moitié de la pauvreté à l’horizon 2015.
Il est étonnant de voir que la Banque centrale de l’UEMOA se contente de maîtriser l’inflation, en ne se préoccupant ni de la croissance, ni du développement économiques. La littérature empirique sur la question est pourtant prolixe. On connaît par exemple le débat sur la courbe de Phillips[20]La courbe de Phillips rend compte de l’arbitrage existant..., qui établit qu’il faut effectuer un arbitrage entre inflation et croissance. Différentes études empiriques, menées notamment dans les économies en transition[21]G. Calvo et F. Coricelli, «Output collapse in Eastern..., ont par ailleurs montré que les politiques monétaires restrictives avaient un impact macroéconomique récessif.[22]Ce constat est illustré, à partir de l’analyse des..., tandis que des modèles néostructuralistes [23][23]S. Van Wijnbergen «Credit policy, inflation and growth... insistent sur les effets pervers liés à l’adoption de politiques monétaires restrictives dans les économies en développement.
La BCEAO, comme la BCE sur laquelle elle s’aligne, privilégie l’objectif de change à la croissance. En cela, elle est une caisse d’émission plutôt qu’une véritable banque centrale puisqu’elle n’a plus la maîtrise de sa politique monétaire. La question est donc de savoir pourquoi les autorités de l’UEMOA ont fait un tel choix. La réponse est double. D’une part, l’absence d’une véritable gestion de la monnaie et du taux de change autorise une paresse intellectuelle et la domination de la routine, comportements bureaucratiques par excellence, bien mis en évidence, pour le cas de l’UEMOA.[24]T. N’Guessan Gouvernance et politique monétaire: à.... D’autre part, les autorités monétaires de l’UEMOA semblent avoir largement opté pour une logique d’extraversion.[25]J.-F. Bayart «L’Afrique dans le monde: une histoire..., en s’attachant quasi viscéralement à l’idée d’un franc CFA «fort», qui signifierait la bonne santé des économies ouest-africaines et témoignerait de leur conformité à l’impératif international de rigueur macroéconomique. Ainsi, depuis la création de l’UMOA en 1962, le taux de change fixe entre le franc français et le franc CFA n’a jamais été remis en question. La volonté de s’attacher à une monnaie forte (le franc français au moins depuis 1985 puis l’Euro depuis 2000), que l’on peut interpréter comme une rémanence de l’empire, a été symbolisée et ouvertement revendiquée par le biais d’un lien monétaire formalisé avec l’ancienne puissance coloniale, la France. L’extraversion se traduit ici très concrètement par le fait que la relation monétaire extérieure apparaît finalement plus importante que les relations internes, comme l’indique la priorité accordée à l’objectif de change sur l’objectif de croissance. Plus exactement, le primat de la «bonne» insertion internationale, symbolisée par cette relation monétaire bien spécifique, amène à gérer les rapports internes sans remettre en cause la stabilité et la fixité du taux de change. De facto, ce choix perpétue la domination de la consommation sur la production, maintient la prime implicite en faveur de la consommation – et, qui plus est, de la consommation importée –, autre forme de la préférence pour une gestion extravertie des relations économiques.
Des réserves change excessives
Le rapport 2005 de la zone Franc.[26]Pour un commentaire de ce rapport, cf. S. Gharbi, «La... indique le montant record des réserves détenues par les banques centrales de la zone Franc auprès du Trésor français: 6 300 milliards de FCFA. Pour la seule BCEAO, les réserves représentent plus de 3 000 milliards de FCFA, soit un taux de couverture de l’émission monétaire supérieur à 110%.[27]Or, la tendance générale des banques centrales est...! Il convient de noter que les conventions du «compte d’opérations» qui lient la BCEAO et le Trésor français n’exigent qu’un taux de couverture de l’émission monétaire de 20%. La BCEAO se prive donc volontairement, avec au minimum l’accord tacite du Trésor français, de moyens financiers conséquents potentiellement utiles à la croissance au sein de l’UEMOA et privilégie la détention de réserves de changes excessives, dont l’intérêt le plus visible est l’amélioration de sa trésorerie du fait de la rémunération de ses dépôts. Certains économistes.[28]T. N’Guessan, Gouvernance et politique monétaire…,... ont utilisé la théorie de la bureaucratie pour tenter d’expliquer la rationalité d’un tel comportement: les autorités monétaires de l’UEMOA seraient plus intéressées par le maintien de leurs privilèges personnels.[29]En témoigne l’utilisation, à l’intérieur de la BCEAO,... que par la maximisation du bien-être collectif, dans un contexte d’absence de contrôle réel de la gestion de la BCEAO, illustrée par un déficit manifeste d’audit externe, heureusement réparé en 2005-2006, à la demande pressante des chefs d’État du Sénégal et du Niger.
Cependant, il convient d’aller plus loin et de mobiliser le cadre d’analyse de l’économie politique pour tenter de fournir une explication complémentaire plausible à ce paradoxe.[30]B. Hibou, L’Afrique est-elle protectionniste? Les.... Ce qui est en jeu dans l’inertie constatée des réponses aux «dérives» du fonctionnement du compte d’opérations ne semble pas être principalement un soutien de la France à des pays en développement par rapport auxquels elle estime avoir une responsabilité particulière au regard de l’histoire coloniale, ou une volonté délibérée de conserver un «pré carré» dont la faiblesse des performances nécessite paradoxalement la constitution de réserves de change importantes à des fins de précaution. Il s’agit plutôt, selon nous, de la conséquence logique d’une gestion extravertie des économies de l’UEMOA. Les autorités monétaires de la zone semblent en effet n’avoir qu’une hantise, la dévaluation du franc CFA. Celle de 1994 a été vécue comme un traumatisme et une atteinte à leur image de banquiers centraux «modernes», obnubilés qu’ils sont, à l’instar de leurs homologues européens, par l’impératif d’une monnaie «forte», traquant l’inflation, refusant tout caractère contra cyclique de la politique monétaire et profitant en outre des facilités d’importation qu’offre une monnaie surévaluée et stable. On ne saurait comprendre autrement pourquoi le taux de change actuel entre le franc CFA et l’Euro perdure, alors même que tous les analystes sérieux de la zone Franc.[31]Voir en particulier La Lettre des économistes de l’AFD... s’accordent depuis quelques années sur le fait que ce taux de change grève fortement la compétitivité des filières agricoles ouest-africaines, notamment cotonnières, sur un marché mondial durablement orienté à la baisse.[32]K. Nubukpo et M. S. Keita, «Prix mondiaux, prix au.... Du fait de la dépréciation du dollar US vis-à-vis de l’Euro, le franc CFA est à l’heure actuelle une monnaie exagérément forte pour les économies de l’UEMOA.
L’illusion de la «victoire finale» contre une inflation non monétaire.[33]L. Doe et M. L. Diallo, «Déterminants empiriques de... entretenue par les autorités monétaires de l’UEMOA et la détention de réserves de change excessives de la BCEAO auprès du Trésor français, rendent compte d’une même logique, celle de la double soumission au départ imposée, mais de plus en plus volontaire, des pouvoirs publics de l’UEMOA au FMI d’une part, et à la France d’autre part, au mépris de l’intérêt des populations de leurs pays. Il est en effet difficile d’expliquer autrement la «conspiration du silence» qui prévaut à l’heure actuelle, face à l’inefficacité interne et externe de la politique monétaire conduite dans l’UEMOA et au caractère aberrant du lien entre le franc CFA et le Trésor français (accords de nature budgétaire), alors même que le franc français n’existe plus et que la politique monétaire de la France se décide désormais à Francfort, où se trouve le siège de la BCE.
Le cartel des banques françaises
Un autre motif d’inefficacité de la politique monétaire conduite par la BCEAO est la structure fortement oligopolistique du secteur bancaire de l’UEMOA, dominé par les filiales de banques françaises. Cela constitue un facteur de viscosité des taux d’intérêt débiteurs des banques[34]Les banques primaires (ou commerciales) ont beau jeu.... Les banques de l’UEMOA n’ont pas réellement besoin de la BCEAO pour se refinancer dans la mesure où elles sont surliquides (400 milliards de FCFA) et adoptent en plus un comportement d’entente avéré. Un système d’entraide explicite (par le marché interbancaire de l’UEMOA) et de collusion tacite (d’où l’expression «cartel des banques françaises» répandue dans le jargon des financiers de l’UEMOA) s’est instauré entre les établissements bancaires qui sont pour l’essentiel des filiales de grands groupes bancaires français et dont l’objectif principal est la maximisation du profit à court terme. Ceci les conduit à privilégier l’octroi de crédit aux entreprises d’État nouvellement privatisées ou en voie de l’être, à la rentabilité avérée et à réduire de leur portefeuille les activités de financement du long terme et des petites et moyennes entreprises. Dans ce contexte, le nombre extrêmement faible de banques à capitaux sous-régionaux opérant dans l’UEMOA et la faillite des banques dites de «développement», emportées par une mauvaise gouvernance chronique, empêchent l’exercice d’un véritable partenariat pour le développement de la zone.
La très grande majorité des banques ne sont pas obligées de suivre les signaux de détente monétaires émis par la BCEAO lorsque cette dernière baisse ses taux directeurs. Elles mobilisent en cas de besoin les maisons mères à Paris pour effectuer les opérations en devises et ne rapatrient ces dernières qu’au compte-gouttes, appliquant le principe dit de novation[35][35]Dans les statuts de l’UEMOA, toute banque dont les.... On retrouve le caractère extraverti du système monétaire et financier de la zone, ici sous la forme du comportement autonome d’acteurs bancaires avant tout contraints par des normes définies hors de leur zone d’intervention. Un tel fonctionnement du système bancaire de l’UEMOA rappelle ainsi l’économie de traite au sein de laquelle, les économies africaines produisant avant tout pour les métropoles, les banques se devaient d’assurer avant tout le bon déroulement des transactions financières qui étaient la contrepartie de ces transactions réelles.
La servitude volontaire de la BCEAO
L’inefficacité externe de la politique monétaire de la BCEAO renvoie à l’inadéquation entre l’architecture institutionnelle de la zone UEMOA (rattachement du franc CFA à l’Euro avec un taux de change fixe) et les objectifs de toute politique économique en union économique et monétaire (vocation contracyclique, réponse aux chocs asymétriques, nécessité de convergence des économies). En effet, comme on l’a vu plus haut, dans un contexte de mobilité des capitaux et de taux de change fixe, tout rattachement d’une «petite» économie à une zone ancre lui fait perdre l’autonomie de sa politique monétaire. Ainsi les dirigeants de la BCEAO sont conduits à imiter les mouvements des taux directeurs de la BCE même lorsque le cycle économique au sein de l’UEMOA ne le justifie pas. Au mieux, une telle politique est inefficace, au pire, elle est nuisible. On a pu le constater au premier semestre de l’année 2000, lorsque la BCEAO, obligée d’augmenter ses taux directeurs pour suivre la hausse effectuée par la BCE pour des raisons internes à la zone Euro, a dû publier un communiqué demandant aux banques primaires de l’UEMOA de ne pas répercuter une telle hausse sur leurs taux débiteurs!
L’apparente schizophrénie des autorités monétaires de l’UEMOA s’éclaire singulièrement lorsqu’on adopte le cadre explicatif de la prééminence d’une logique d’extraversion: la libéralisation du système financier et l’adoption de standards internationaux de gestion monétaire s’effectuent autant pour se plier aux injonctions des institutions de Bretton Woods (1989 puis 1994) que pour s’enorgueillir d’être une zone monétaire «crédible», alors même que les conditions de l’environnement ne sont pas réunies. Pour palier les conséquences désastreuses d’une libéralisation financière mal préparée, tous les subterfuges sont autorisés. On en veut pour illustration la persistance du «programme monétaire»: en effet, avant la libéralisation du système financier, l’encadrement du crédit bancaire dans l’UEMOA exigeait que la BCEAO attribue à chaque pays un volume prévisionnel de crédit à octroyer par le système bancaire dudit pays à son économie au cours d’une année donnée. Cet exercice était effectué tous les mois de novembre lors d’une réunion appelée «programme monétaire», qui consacrait à juste titre une gestion par les quantités (volume de crédit alloué aux différents systèmes bancaires nationaux) dans un contexte où les prix (taux d’intérêt) n’avaient que peu de portée. Or, du fait du constat de l’échec patent de la libéralisation financière.[36]Sur le faible impact des variations des taux directeurs..., les réunions de «programme monétaire» se poursuivent et continuent d’attribuer des volumes de liquidités à accorder par les systèmes bancaires nationaux à leurs économies. On se retrouve donc dans un système où la gestion par les prix (taux d’intérêt) est théoriquement chargée de réguler le volume des liquidités bancaires, mais où en réalité, l’ancien système d’encadrement du crédit perdure.
Le paradoxe est saisissant, qui voit des autorités monétaires afficher leur libéralisme, et fixer à la fois les prix et les quantités.[37]Dans un système libéral, on fixe soit les prix (en.... Cet héritage monétaire issu de la période coloniale est conservé en l’état par les dirigeants africains des pays de la zone Franc. Ces derniers privilégient la supériorité de la légitimité internationale sur la légitimité interne en termes de normes, d’idées, de règles jugées «bonnes», «justes» ou «légitimes». Cette hiérarchie est lourde de conséquences et a conduit certains économistes à demander aux pouvoirs publics africains de sortir de la «répression monétaire».[38]J. Tchundjang Pouemi, Monnaie, servitude et liberté:... ou du «piège monétaire».[39]C. Monga et J.-C. Tchatchouang, Sortir du piège monétaire,....
La politique de gestion du franc CFA qui se veut résolument monétariste dans un environnement qui ne s’y prête guère, fondée sur la détention de réserves de changes aussi excessives qu’oisives, devient de plus en plus pro-cyclique.[40]Toute politique monétaire a une vocation «contracyclique»,... et accumule des effets pervers nuisibles au retour de la croissance au sein de la zone UEMOA. Cependant, une dévaluation brutale, à l’instar de celle de 1994, ne saurait résoudre durablement les problèmes structurels que pose le rattachement du franc CFA à l’Euro. En outre, elle serait difficile à justifier au regard du niveau élevé des réserves de changes de la BCEAO auprès du Trésor français. Il faut plutôt se poser la question plus globale de la pertinence du régime de change et du coût d’une gestion monétaire extravertie pour les populations africaines. D’un point de vue strictement économique en effet, il semblerait plus raisonnable d’envisager un système de changes flottants dans une bande de fluctuation à définir entre les autorités de la zone UEMOA et celles de la zone Euro. Ce système aurait alors l’avantage d’assurer aux autorités de la BCEAO un apprentissage progressif de la gestion monétaire et d’envoyer, par le biais d’un taux de change moins rigide, des signaux réguliers aux populations de la zone sur l’état de leurs économies. Il cesserait également de privilégier une classe urbaine aisée qui bénéficie pour sa consommation de produits importés d’une monnaie forte et convertible, alors même que le principal défi des économies de l’UEMOA est de rendre compétitifs et autosuffisants les millions de petits producteurs qui se battent quotidiennement pour leur survie. Pour qu’une telle évolution soit envisageable, une réflexion sur la nature, le contenu et l’opportunité des accords de coopération monétaire qui lient la France et les pays de la zone Franc doivent être menés. Plus que jamais, la question de la cohérence des politiques publiques dans un contexte d’extraversion à facettes multiples se pose avec acuité pour les États membres de l’UEMOA et plus généralement de la zone Franc.
Plus fondamentalement se pose la question de la gestion du franc CFA par les institutions de l’UEMOA. En effet, depuis presque deux ans, le navire BCEAO est sans gouvernail, conséquence de l’incapacité des chefs d’État de l’UEMOA à se mettre d’accord sur le nom et la nationalité du futur gouverneur de la Banque centrale. Parallèlement, ils viennent, au mois de janvier 2007, de valider la réforme des statuts de la BCEAO conférant à cette dernière son indépendance vis-à-vis des États. Ainsi, à l’incapacité d’assumer la gouvernance d’une zone monétaire reçue en héritage et gérée en fonction de critères extérieurs aux ressorts des économies africaines s’ajoutent désormais un quitus et un brevet de bonne gouvernance décernés à une institution monétaire incapable d’affronter les défis d’une mondialisation exigeante. La bienveillance des «conseillers» français lors du processus de réforme conduisant à l’indépendance de la BCEAO.[41]On en veut pour preuve le satisfecit décerné par S.... prouve à l’envi qu’en matière monétaire, la Françafrique est toujours une réalité.
Notes
L’auteur remercie Béatrice Hibou, Olivier Vallée et les rapporteurs anonymes pour leurs précieux commentaires et conseils sur les versions antérieures de cet article. Il reste cependant seul responsable des opinions émises dans le présent document, ainsi que des erreurs ou omissions qui y subsisteraient.
Le franc CFA, à l’origine «franc des colonies françaises d’Afrique», a été créé le 26 décembre 1945 par un décret du président du Gouvernement provisoire français. Sa parité était fixée alors à 1,7 franc français (FRF). Cette parité est passée à 2 FRF en octobre 1948 puis à 0,02 FRF en 1960, date de création du nouveau franc français et enfin à 0,01 FRF le 11 janvier 1994, suite à la dévaluation du franc CFA.
Les auteurs dits «dépendantistes», à l’instar de S. Amin, A. Emmanuel ou A. G. Frank, estiment que les indépendances accordées aux pays africains reflètent un ajustement de l’ordre de la superstructure et non un changement dans l’infrastructure des relations entre le Nord et le Sud. Les pays du Nord représentent le «centre» et les pays du Sud, la «périphérie». La dépendance de la périphérie vis-à-vis du centre se perpétue en dépit de l’indépendance formelle octroyée aux pays de la périphérie. Pour un aperçu détaillé des critiques relatives au franc CFA au début des années 1960, voir R. Julienne, 20 ans d’institutions monétaires ouest africaines: 1955-1975, Paris, L’Harmattan, 1988.
Outre certains économistes de la Banque mondiale (S. Devarajan et L. E. Hinkle) qui ont montré avant la dévaluation de 1994 la surévaluation du taux de change réel du franc CFA, l’économiste africain le plus emblématique de cette approche libérale est M. Koulibaly, Le Libéralisme, nouveau départ pour l’Afrique noire, Paris, l’Harmattan, 1992.
La doctrine de la «désinflation compétitive», théorisée par J.-C. Trichet pour l’économie française, s’oppose à la notion de «dévaluation compétitive»: pour gagner des parts du marché mondial, un pays doit renoncer à jouer à la baisse sur le taux de change de sa monnaie et préférer renforcer sa compétitivité structurelle, sur le modèle de ce qu’aurait réussi l’économie allemande. Pour une critique radicale de cette doctrine, voir F. Lebaron, Ordre monétaire ou chaos social? La BCE et la révolution néolibérale, Paris, Raisons d’agir, 2006.
Pour une approche congruente en termes d’économie politique de la «servitude volontaire», voir sur un autre terrain et un tout autre objet, B. Hibou, La Force de l’obéissance. Économie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006.
L’UEMOA est composé de huit pays: Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo.
Une politique de «désinflation compétitive» a généralement quatre objectifs: une politique monétaire de lutte contre l’inflation, une politique budgétaire de lutte contre les déficits publics, une politique de rationalisation des coûts de production et enfin un ensemble de réformes structurelles, notamment la privatisation des sociétés d’État.
BCEAO, Histoire de l’UMOA, 3 tomes, Paris, G. Israël, 2000.
B. S. Diallo, «Des cauris au franc CFA», in Gemdev et Université du Mali (eds), Mali-France: regards sur une histoire partagée, Paris, Karthala, 2005, p. 407-431.
L’UMOA a été créée en mai 1962, et l’UEMOA en janvier 1994. Contrairement aux idées reçues, le traité créant l’UEMOA n’a pas remplacé celui de l’UMOA: ce dernier sert encore de base juridique aux aspects strictement monétaires. Nous avons généralement choisi ici de ne mentionner que l’UEMOA pour faciliter la lecture, l’usage de l’appellation UEMOA nous permettant d’évoquer à la fois les aspects réels et les aspects monétaires et financiers. Une unification des deux traités est prévue.
La «doctrine d’Abidjan», encore appelée «doctrine Balladur», a été théorisée et surtout appliquée à partir de 1993 lorsqu’il fut admis qu’aucun pays africain de la zone Franc en délicatesse avec les conditionnalités du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ne saurait prétendre à un appui financier français. Pour en savoir plus, voir B. Hibou, «La politique économique de la France en zone Franc», Politique Africaine, n° 58, juin 1995, p. 25-40.
Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, créée en 1975 et regroupant l’ensemble des 16 pays ouest-africains, à l’exception de la Mauritanie.
De facto, ces taux ont tendance à suivre l’évolution de ceux de la Banque centrale européenne (BCE), zone ancre du Franc CFA.
Pour cerner les tenants et aboutissants du fonctionnement du «compte d’opérations», se référer aux ouvrages de P. Hugon, La Zone Franc à l’heure de l’Euro, Paris, Karthala, 1999, p. 19 et B. Claveranne, La Zone Franc: au-delà de la monnaie, Paris, Economica, 2005, p. 50.
Voir K. Nubukpo, «L’impact de la variation des taux d’intérêt directeurs de la BCEAO sur l’inflation et la croissance dans l’UMOA», Notes d’information et statistiques, BCEAO, n° 526, juin 2002. <www.bceao.int/internet/bcweb.nsf/files/er30.pdf>. Les résultats de cette étude ont été validés par les autorités monétaires de la zone et publiés in BCEAO, Rapport Annuel 2002, p. 20-21.
La BCEAO se veut ainsi plus vertueuse que l’UEMOA, laquelle a retenu une cible d’inflation de 3% dans le cadre des critères de convergence macroéconomique.
R. A. Mundell explique que dans un régime de taux de change fixe avec une liberté de circulation des capitaux, une banque centrale d’un pays ou d’une zone qui arrime sa monnaie à celle d’une zone plus puissante économiquement perd sa liberté de fixation des taux d’intérêt directeurs et est obligée de suivre l’évolution des taux de la zone ancre, notamment à la hausse. En effet, si tel n’était pas le cas, elle perdrait ses réserves de change du fait des capitaux qui partiraient vers la zone ancre et risquerait ainsi de ne plus pouvoir disposer de suffisamment de réserves de change pour soutenir son taux de change fixe. Il s’ensuivrait une dévaluation de sa monnaie. Pour en savoir plus, voir R. A. Mundell, «A theory of optimum currency areas», American Economic Review, n° 4, 1961.
Voir Conseil d’analyse économique P. Aghion, E. Cohen et J. Pisani-Ferry, Politique économique et croissance en Europe, Rapport n° 59, Paris, La Documentation Française, 2006.
La courbe de Phillips rend compte de l’arbitrage existant entre inflation et chômage: en effet, elle suggère qu’il est possible d’obtenir un supplément de croissance économique devant se traduire par une baisse du chômage, par le biais d’une politique monétaire expansionniste. La hausse du taux d’inflation, conséquence de la politique monétaire expansionniste, serait le prix à payer pour obtenir la croissance. Un tel enchaînement des mécanismes a été remis en cause par Phelps et Friedman, puis Sargent et Wallace, qui montrèrent grâce à l’introduction des anticipations dites adaptatives, puis rationnelles dans les modèles keynésiens, l’absence d’arbitrage entre inflation et chômage. La réponse des nouveaux keynésiens fut de réhabiliter la courbe de Phillips en passant par l’hypothèse d’imparfaite flexibilité des prix.
G. Calvo et F. Coricelli, «Output collapse in Eastern Europe: the role of credit», IMF Staff Papers, vol. 40, n° 1, mars 1993, p. 32-52; F. Coricelli, Macroeconomic Policies and the Development of Markets in Transition Economies, Budapest, Central European University Press, 1998; P. Ould-Ahmed «Politiques monétaires, comportements bancaires et crises de financement en Russie: les vicissitudes des années 90», Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 30, n° 2-3, 1999, p. 89-121.
Ce constat est illustré, à partir de l’analyse des deux vagues de politiques monétaires restrictives en Russie de 1993 à 1999, par P. Ould-Ahmed, «Politiques monétaires…», art.cit.
S. Van Wijnbergen «Credit policy, inflation and growth in a financially repressed economy», Journal of Development Economics, n° 13, août 1983; et du même auteur, «Interest rate management in LDCs», Journal of Monetary Economics, n° 12, septembre 1983.
T. N’Guessan Gouvernance et politique monétaire: à qui profitent les banques centrales de la Zone Franc? Paris, L’Harmattan, 1996.
J.-F. Bayart «L’Afrique dans le monde: une histoire d’extraversion», Critique internationale, n° 5, 1999, p. 97-120. L’auteur a une réflexion stimulante sur l’extraversion «dépendante» de l’Afrique et ses conséquences.
Pour un commentaire de ce rapport, cf. S. Gharbi, «La zone Franc croule sous l’argent», Jeune Afrique, n° 2384, du 17-23 septembre 2006, p. 69.
Or, la tendance générale des banques centrales est à la diminution des réserves de change du fait de trois coûts induits par la détention de réserves excessives: le coût d’opportunité (les réserves pourraient être utilisées pour financer des dépenses d’équipement ou rembourser une partie de la dette extérieure et réduire ainsi les paiements d’intérêts), le coût de stérilisation (beaucoup de banques centrales neutralisent l’accroissement des liquidités créées par l’accumulation de réserves en vendant des instruments intérieurs assortis d’un taux d’intérêt souvent plus élevé que les instruments dans lesquels les réserves sont investies), le coût de revalorisation (si un pays voit sa monnaie s’apprécier par rapport aux monnaies qu’il détient en réserve, il subit des pertes quasi budgétaires). Pour en savoir plus, voir D. Hauner, «Le coût budgétaire de la détention des réserves internationales», Bulletin du FMI, vol. 34, n° 10, 13 juin 2005.
T. N’Guessan, Gouvernance et politique monétaire…, op. cit.
En témoigne l’utilisation, à l’intérieur de la BCEAO, de l’expression «Banny 1, Banny 2, Banny 3», du nom de l’ancien gouverneur de la BCEAO, l’Ivoirien Charles Konan Banny, pour désigner les mois de salaire supplémentaires accordés à tous les agents de la BCEAO, résultat d’une «excellente trésorerie» de la Banque. Cette utilisation de la trésorerie de la BCEAO, provenant notamment de la rémunération de réserves de change excessives, procède sinon d’une gestion personnelle de la popularité du gouverneur, au moins d’un appétit étonnant de privilèges de la part du personnel dirigeant d’une institution qui n’a de cesse de prodiguer des leçons de bonne gouvernance aux États membres de l’UEMOA.
B. Hibou, L’Afrique est-elle protectionniste? Les chemins buissonniers de la libéralisation extérieure, Paris, Karthala, 1996, 334 p.; B. Hibou, «Le “capital social” de l’État falsificateur, ou les ruses de l’intelligence économique», in J.-F. Bayart, S. Ellis et B. Hibou, La criminalisation de l’État en Afrique, Bruxelles, Complexe, 1997, p. 105-158.
Voir en particulier La Lettre des économistes de l’AFD (Agence française de développement), «Quel avenir pour le coton africain?» n° 13, juillet 2006.
K. Nubukpo et M. S. Keita, «Prix mondiaux, prix au producteur et avenir de la filière coton au Mali», Cahiers Agricultures, vol. 15, n° 1, janvier-février 2006, p. 35-41.
L. Doe et M. L. Diallo, «Déterminants empiriques de l’inflation dans les pays de l’UEMOA», Notes d’information et statistiques, BCEAO, n° 476, décembre 1997.
Les banques primaires (ou commerciales) ont beau jeu de suivre par une hausse de leurs taux d’intérêt débiteurs, les augmentations des taux directeurs de la BCEAO, arguant de l’augmentation automatique du coût de leur refinancement auprès de cette dernière. En revanche, elles «oublient» souvent de baisser leurs taux d’intérêt débiteurs lorsque la BCEAO réduit ses taux directeurs, créant ainsi une rigidité, une viscosité à la baisse des taux d’intérêt débiteurs. Voir P. L. Diop, «L’impact des taux directeurs de la BCEAO sur les taux débiteurs des banques», Notes d’information et statistiques, BCEAO, n° 483-484, juillet-août-septembre 1998.
Dans les statuts de l’UEMOA, toute banque dont les activités engendrent l’obtention de devises a obligation de rapatrier ces devises à la BCEAO afin d’augmenter, ne serait-ce qu’une journée, le niveau des avoirs extérieurs nets de l’UEMOA. Or, les banques de l’Union utilisent le plus souvent l’argument de la nécessité de disposer à leur niveau de ces devises pour mener à bien d’éventuelles transactions nécessitant la sortie de devises de la zone UEMOA, pour ne pas effectuer de rapatriement. De fait, elles appliquent le principe de «novation», c’est-à-dire qu’elles ne rapatrient que le solde de leurs opérations en devises, en flagrante violation des règles de gestion monétaire en vigueur dans l’UEMOA.
Sur le faible impact des variations des taux directeurs de la BCEAO sur l’inflation et la croissance dans l’UEMOA, voir K. Nubukpo, «L’impact des variations…», art. cit.
Dans un système libéral, on fixe soit les prix (en référence au commissaire-priseur walrassien qui annonce les prix par le système de criée jusqu’à l’obtention de l’équilibre général), soit les quantités (en référence aux travaux sur l’équilibre partiel d’A. Marshall), mais jamais les deux, car ce faisant, on abolit tout degré de liberté et donc d’ajustement dans un système où c’est le libre-arbitre des agents économiques qui permet d’obtenir un équilibre en quantité ou en prix. Le procédé des autorités monétaires de l’UEMOA se traduit par un double déséquilibre en prix et en quantité, ce qui ne peut en aucun cas aboutir à l’obtention de l’optimum de Pareto, car frustrant à la fois les offreurs et les demandeurs de crédit.
J. Tchundjang Pouemi, Monnaie, servitude et liberté: la répression monétaire de l’Afrique, Yaoundé, Éditions Menaibuc, 1979.
C. Monga et J.-C. Tchatchouang, Sortir du piège monétaire, Paris, Economica, 1996.
Toute politique monétaire a une vocation «contracyclique», c’est-à-dire contre le cycle «naturel» de l’économie. Ainsi, lorsque la croissance économique est en berne, la Banque centrale doit diminuer ses taux directeurs pour réduire le coût du crédit, incitant ainsi les agents à s’endetter pour consommer ou investir, ce qui permet de relancer la machine économique. Or, du fait des spécificités de la zone UEMOA, en particulier de l’origine non monétaire de l’inflation, une mauvaise pluviométrie se traduisant par une flambée des prix alimentaires induit un durcissement de l’octroi de crédit du système bancaire par peur de l’inflation. Ainsi, alors même que les agents économiques sont pénalisés par des prix alimentaires élevés, la BCEAO les empêche d’accéder au crédit pouvant desserrer leur contrainte budgétaire, accentuant le risque de déprime économique. Cette politique procyclique contribue à fragiliser les économies de l’UEMOA et illustre les effets pervers d’une lutte à courte vue contre l’inflation.
On en veut pour preuve le satisfecit décerné par S. Guillaumont qui plaide longuement, dans un article récent, pour l’indépendance de la BCEAO. Pour plus de précisions, voir S. Guillaumont «L’indépendance de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest: une réforme souhaitable?», Revue d’économie du développement, vol. 20, n° 1, 2006, p. 45-77.
Résumé
Français
Le franc CFA est l’une des instances de la perpétuation du lien (post)colonial entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique. La BCEAO, qui gère le franc CFA en Afrique de l’Ouest, conduit une politique monétaire peu efficace, au regard de l’absence de liaisons existant entre l’objectif de lutte contre l’inflation fixée par l’UEMOA et les instruments dont elle dispose, ses taux d’intérêt directeurs. Elle détient également des réserves de changes excessives auprès du Trésor français; bien qu’elle soit la banque centrale de pays en développement qui comptent parmi les plus pauvres du monde, elle n’a pas pour objectif la croissance économique; enfin, elle ne semble pas mener de réflexion sur l’opportunité du maintien d’un ancrage rigide du franc CFA à l’Euro dans un contexte de faible compétitivité à l’export des économies de l’UEMOA et d’un Euro «fort». La structure et le fonctionnement de l’UEMOA sont fortement extravertis et cette extraversion explique les faiblesses de la politique monétaire de la BCEAO.
English
Monetary policy and voluntary serfdomThe BCEAO’s management of the CFA FrancThe CFA franc is one example of the perpetuation of the (post)colonial link between France and its former African colonies. The BCEAO, which manages the CFA franc in West Africa runs an inefficient monetary policy, in which there are few linkages between the fight against inflation – a policy established by the WAEMU – and the instruments at its disposal, notably its ability to set interest rate ceilings. It also holds in reserve too much exchange with the French Treasury, and although it is the main bank for the poorest developing countries in the world, its objective is not economic growth. Finally, within the bank, there is currently no debate taking place about the opportunity costs of rigidly pegging the CFA to the Euro in a context of weak export competitiveness amongst the WAEMU economies and a «strong» Euro. The structure and functioning of WAEMU are highly externally driven. This explains the weakness of monetary policy within the BCEAO.
Plan de l'article
- La gestion extravertie de la politique économique et monétaire
- Le dispositif de gestion monétaire de l’UEMOA
- L’absence d’objectif de croissance dans les missions de la BCEAO
- Des réserves change excessives
- Le cartel des banques françaises
- La servitude volontaire de la BCEAO
source: cairn.info
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